Les mémoires du manger

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Ce midi lors de mon heure de lunch, j’ai eu une discussion avec quelques collègues de travail sur notre relation avec la nourriture dans notre enfance.

L’une d’elles partageait le fait que chez elle, son père leur servait toujours des portions démesurées et que s’il y avait des restants, il fallait les finir ce soir-là absolument (« Allez, il reste un peu de carottes, on finit ça ! »), pas question d’en laisser. Et si on voulait une pomme de terre de plus au souper, ben on se passait de dessert. Tout était « calculé ».

Un autre nous partageait qu’il devait finir coûte que coûte toute son assiette car ses parents lui servait l’argument béton que bien des enfants en Afrique n’avaient pas la chance d’avoir une assiette pleine comme la sienne alors pas question de laisser une seule miette, etc…. Et qu’avec cette philosophie, il s’était retrouvé avec plusieurs livres (kilos) en trop pendant une partie de son adolescence à défaut d’avoir eu la possibilité de brûler toute cette quantité de bouffe trop importante pour lui (ou a-t-il un métabolisme plus lent ? Bref…).

Un autre nous partageait que chez lui, de 12 à 17 ans, il mangeait trois assiettes de bouffe par repas (trois !!) et qu’il était hors de question d’y déroger. Une grande, une moyenne et une petite pour finir…

Un autre nous partagea tristement qu’il s’était déjà fait frapper la tête dans son assiette par son père parce qu’il n’avait pas voulu en finir le contenu… et que l’assiette s’était brisée, lui causant une blessure au visage.

Finir son assiette pour les enfants d’Afrique, pour avoir du dessert, de peur de recevoir une claque, nos parents avaient toujours une bonne raison de nous faire avaler la moindre miette.

Je me rappelle très bien être restée à table pendant ce qui m’a semblé un moment interminable parce que je n’aimais pas ce qu’on mangeait ce soir-là et que mon père tenait mordicus à ce que je finisse mon assiette (qui, évidemment, n’était plus froide mais glacée, c’est encore pire). Combien de fois j’ai vu ma sœur se faire crier dessus par mon père découragé de la voir prendre autant de temps à manger ce qui lui en prenait 25 secondes alors qu’elle pleurait sa vie et se faisait parfois sortir de table assez brusquement et ce, sans demander son reste. « Enwoueille au lit, tu mangeras demain, qui dort dîne. »

L’ÉMOTION DU MANGER

Nous avons tous une histoire familiale que nous traînons dans notre passé et qui a, malgré tout, fait partie de la construction nos perceptions de l’étiquette à suivre lors des repas ou, au contraire, à ne pas suivre.

Je ne suis pas psychologue et je ne prétends à rien, mais le partage de mes collègues ce midi m’a fait réaliser à quel point la table familiale est déterminante dans la construction de notre relation avec la nourriture et des émotions qui sont rattachées lorsque nous ingérons le contenu de nos assiettes.

LE DEVOIR PARENTAL ET LE MANGER

Il est intéressant de noter que la table est aussi un des premiers endroits où nous pouvons faire l’expérience directe de l’autorité parentale. C’est d’ailleurs une problématique récurrente dont on fait beaucoup mention ces dernières années. Nos enfants qui peinent à manger; autant dans notre temps on parlait des éthiopiens en famine et de privation, autant aujourd’hui on suggère de manger trois maigres bouchées pour avoir tout son dessert. Et s’installe alors une autre dynamique émotive, celle où le parent, de peur d’entrer en conflit avec son enfant, va laisser celui-ci prendre une décision qui devrait revenir au parent. Résultat ? La naissance de l’Enfant-roi et de la guerre interminable des plats à peine entamés qui finissent trop souvent à la poubelle…

TROUBLES ALIMENTAIRES

Souvent, les troubles alimentaires (les plus connus étant l’anorexie et la boulimie) que l’on retrouve en société ont rapport avec nos émotions, notre perception de l’autre et de la place que l’on se permet d’occuper dans notre existence. Ceci dit, je ne tiens pas à généraliser tous les cas d’anorexie ou de boulimie, peut-être certains n’entrent pas dans cette catégorie mais je parlerai généralement. Ce genre de questionnement et de trouble s’installe souvent à l’aube de la vie, alors que l’adolescence arrive. La table familiale fait donc partie de la cellule première où l’on peut développer ce genre de problème. L’adolescence est un moment charnière dans la vie où la présence (ou l’absence) des parents ou des proches est déterminante dans la perception de soi et les émotions qui en découlent.

Trop de gens peuvent moins apprécier ce temps de la journée car il est uniquement associé à une nécessité (il faut manger pour vivre) et non pas au plaisir social de partager un repas entre collègues, amis, famille, etc. Il peut être aussi un lourd rappel qu’il faut se nourrir et alors l’anxiété des calories, des gras et de la prise de poids peut faire de ce moment un stress important lié à un mal être social et intérieur profond.

REVENIR À SOI

Il est donc important de prendre conscience de cet aspect émotif et de ces mémoires qui nous habitent dans notre relation avec le manger afin de pouvoir briser des cycles et se réapproprier notre assiette.

On est ce qu’on mange, pas juste dans les ingrédients qu’on choisit pour faire nos recettes mais aussi dans la façon dont on prépare notre bouffe (avec l’ingrédient magique qu’est l’amour, les intentions positives) et aussi dans la façon dont on prendra le temps pour consommer ce repas.

Tout est dans la manière.

Source photo : andredemarles.skyrock.com

 

Auteur : Sylvia Beaudry

Amoureuse de manger 100% végétal, transmetteuse d'idées et allumeuse de consciences.

2 thoughts

  1. Ces anecdotes, que ce soient les tiennes ou celles de tes collègues, sont effrayantes. Je me rends compte que j’ai beaucoup de chance parce que mes parents ne m’ont jamais forcée à manger ; par exemple je n’aimais pas la viande lorsque j’étais enfant, et ils ne m’ont jamais forcée à en ingérer. Je n’ai jamais dû finir mon assiette à tout prix, on me demandait de goûter un aliment et si je n’aimais pas, je n’en mangeais pas, c’était simple. Parfois pour le dîner on se faisait un repas chocolat chaud pain beurre et c’était fantastique ces moments-là où au lieu d’être à table on était tous dans le canapé emmitouflés sous des bons plaids 🙂

  2. Aaaahh chez nous c’était « les faims mangent comme les pas faims »
    Pour ma part, depuis que j’ai comme ma famille à moi, j’ai instauré le « prends-en moins, si t’as encore faim après, t’en reprendras. » Pis si y en reste, ben coudonc, ça fait des repas déjà tout prêt pour le lendemain midi ! Pas de gaspillage (ou très peu) !

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